09 avril 2024

Une matinée à la pêche au chipiron à Capbreton

Comment le mollusque se cueille « à la turlutte »

Par Timothée Zappi - montdemarsan@sudouest.fr Publié le 16/10/2022

Véritable institution à Capbreton et sur la côte lando-basque, la pêche du chipiron à la turlutte bat son plein de septembre à décembre.

« Sud Ouest » a embarqué sur un bateau à l’aube pour vivre l’expérience. Récit

Au loin à l’ouest, dans la pénombre de la baie de Capbreton, la frontière entre ciel et mer est quasi imperceptible. Pas de crainte cependant, la mer est calme et la météo bonne, rassure Bernard Mouchet en se dirigeant vers les bateaux. « Je vais peut-être prendre ma canne d’abord quand même ! » sourit le retraité moustachu. Même pour le président de l’Union nautique des pêcheurs de Capbreton (UNPC), l’heure est un peu matinale. Mais c’est le moment idéal pour aller chercher le chipiron.

En route, alors, ou plutôt en mer, en quête du petit calamar typique des tables landaises et basques (lire par ailleurs). À bord, Bernard, donc, mais aussi Jérôme et Laurent. Pour assurer de la qualité de l’équipage, le président de l’UNPC met un point d’honneur à informer que les deux pêcheurs remportent tous les challenges de chipirons que l’Union organise. « Ce sont aussi les rois du pagre, et Jérôme a sorti il y a deux semaines un thon de 2,50 m pour 230 kilos ! » ajoute-t-il.

La pêche du jour, si tant est que ça mord, sera beaucoup moins conséquente : un chipiron pèse en moyenne entre 300 et 700 grammes et mesure 30 à 40 centimètres. Le mollusque se cueille « à la turlutte », du nom du petit appât en forme de crevette et équipé d’une couronne d’hameçons. Elles sont de couleur vive et « certains leurres contiennent même des billes pour attirer encore plus les chipirons », précise Laurent.

Pêche à la turlutte

Les cannes sont armées de trois turluttes et d’un plomb qu’il faut tapoter dans le fond marin, à nouveau pour imiter un mouvement d’une crevette. Puis mouliner énergiquement quand il y a une touche. « Et si tu arrives à sortir un chipiron, tu auras droit à une surprise ! » prévient Jérôme. En bon céphalopode, le précieux est doté d’une poche d’encre qu’il peut expulser. Dans la mer, cela trouble l’eau et aveugle le prédateur. Dehors, ça souille les vêtements, parfois la frimousse et ça fait marrer les marins.

Des rires, il y en a sur l’embarcation. De l’encre, beaucoup moins. Une seiche a bien tenté sa chance mais a seulement fait gicler un filet d’eau. Suffisant cependant pour filer à l’anglaise. En consolation, on sort les chocolatines, tandis que le soleil pointe le bout de son nez et que les Pyrénées apparaissent à l’horizon. « C’est pour ces moments que je sors. Le lever du soleil, quand le mercure remonte enfin un peu », lâche Bernard en regardant le rai de lumière sur la mer calme.

Autour, les bateaux se font plus nombreux. « Certains sont des adhérents, mais ça reste des concurrents ! » rigole le président de l’UNPC. Il explique qu’au-delà de la performance, les sorties, presque toujours à plusieurs, se font surtout pour partager des moments de convivialité. « Tout seul, on se fait un peu ch… », confie le natif de Peyrehorade.

30 000 euros le bateau
Mais pour s’autoriser des sorties jusqu’à 10 heures du matin, il faut du temps. D’autant que les créneaux se font rares étant donné que la pêche est quasi impossible dès 50 centimètres de houle. Bernard est à la retraite, Jérôme vient de vendre sa société et Laurent est à son compte. Autre prérequis : un bateau, évidemment. Et les prix peuvent refroidir plus que la fraîcheur matinale : compter 30 000 euros pour une occasion. « Mais c’est ce qui se fait de moins cher en bateau de pêche, et la plupart conservent leur navire toute une vie », reprend le président.

Les lignes sont toujours aussi calmes. « Personne ne pourra t’expliquer pourquoi il n’y a rien ce matin alors que les conditions sont parfaites… même les chipirons ne sont pas là pour nous le dire ! » pouffe Bernard. Les trois pêcheurs avancent cependant que les céphalopodes se font plus rares que dans les belles années. En cause : le retour du thon rouge, un de ses prédateurs, dans les eaux françaises. « Les filets de pêche n’aident pas non plus… »

Mais miracle : à 9 h 50, enfin un chipiron ! C’est Jérôme qui sort sous les hourras un calmar d’une… dizaine de centimètres. Qu’importe, la sortie est sauvée : « Une petite chose comme ça suffit à rendre quatre gaillards heureux », se satisfait Bernard. Le chipiron, de couleur rouge dans l’eau, prend vite une teinte blanc pâle à l’air libre. Sur le bateau de Christian, un ami de Bernard, ce sont trois calmars qui ont été remontés. Et des gros. Quatre chipirons pour deux bateaux et autant d’heures de sortie : la spécialité est plus simple à trouver sur les menus landais que dans les eaux. Mais l’intérêt est peut-être ailleurs…